Je suis un matérialiste. Je crois que le monde objectif suffit à expliquer son propre développement, contient en lui-même ses propres déterminations, indépendemment de toute interférence « extérieure », de quelque intervention qui aurait son origine dans un éventuel « ailleurs », un « au-delà » idéal ou para-réel.
Cette approche n’élimine pas toute possibilité de transcendance — tout au contraire. Celle-ci devient même une évidence. Mon « au-delà » ne se situe pas « ailleurs » : c’est l’avenir, le devenir du monde lui-même. En prenant conscience que ma propre vie, mon existence personnelle toute relative s’inscrit dans un processus bien plus vaste que moi, la substance de ce « moi », mon identité, dépasse ma petite personne, admet que ce qui constitue son essence subsistera après ma mort. Une telle conception de l’Être et de son articulation au monde ouvre bien des horizons sur son propre devenir, sur le devenir humain.
Rien de bien original, au demeurant. De tout temps les humains ont toujours voulu améliorer leur condition et espéré un avenir meilleur. Or s’il y a une chose qu’il faut garder immuablement à l’esprit, c’est bien cela.
Car cette détermination essentielle du genre humain est lourdement mise à mal en ce moment-même. Phénomène historiquement très récent, on colporte aujourd’hui l’idée que l’avenir sera de plus en plus sombre. Tout l’appareil médiatique s’est mis en branle pour nous sensibiliser aux fatalités économiques, environnementales et (dorénavant) sanitaires qui vont s’abattre sur nous et exclure d’emblée un avenir plus radieux. Terminées les promesses du progrès perpétuel !
Il est impératif en cette époque particulière de « grandes tribulations » de ne pas abdiquer de la mission trans-historique fondamentale de l’humanité : celle qui consiste à développer ingénieusement ses capacités à transformer le monde pour rendre ses conditions d’existence et celles de sa descendance meilleures.
Ce qui nous est présenté comme des fatalités ne le sont en réalité que dans la mesure où on ne remet pas en question certains fondamentaux que nos prophètes de malheur voudraient indiscutables.
Les médias de propagande nous mentent en permanence — non pas parce qu’ils feraient mal leur travail, mais parce qu’ils ne peuvent accomplir qu’ainsi leur fonction sociale. Le mensonge cache le secret du monde, parce que celui-ci doit demeurer caché. Mais ce faisant, il désigne de plus en plus clairement ce qu’il cherche à cacher.
Et le seul fait que le système économique entier repose sur le mensonge — la dissimulation de son secret — devrait suffire à l’invalider. Cela démontre qu’il participe d’une vision du monde erronée, incompatible avec la réalité.
Il ne pourra pas durer éternellement. Mais soyons lucides : il essaiera de se maintenir à tout prix aussi longtemps que possible. Au prix de lendemains toujours plus en inadéquation avec les réalités humaines et environnementales, ce qui se traduira par toujours plus de misères, de déceptions, de répression, de conflits, de destruction, de famines, de maladies, de catastrophes et de désespoir. C’est ce qui nous attend inévitablement dans les mois et les années à venir si on s’entête sur le chemin qu’on veut nous imposer. La situation ne pourra jamais être relevée : les contradictions du système sont trop profondes.
Ainsi, ce système — je n’invente rien en l’affirmant — est condamné à mourir. La question qui se pose à nous, humains, maintenant plus que jamais auparavant, c’est : jusqu’à quel point nous le laisserons tout détruire dans sa chute ?
C’est à nous qu’il incombe de déchirer le voile qui cache le secret morbide du système. La bonne nouvelle est que nous ne serons pas les premiers à le faire. L’inconséquence patente du développement économique — commercial, industriel et financier — est devenu particulièrement manifeste en Europe de la « révolution industrielle », dès la fin du XVIIIe siècle. Dès le départ, des gens se sont dressés massivement contre l’imposture (et l’inhumanité) d’un tel système. Beaucoup y ont laissé leur peau. Mais ils nous ont légué un héritage critique très précieux.
Loin de s’être amélioré depuis, comme on voudrait nous le faire croire, ce système s’est étendu à la totalité du globe terrestre. Et l’histoire des XIXe et XXe siècle est caractéristique de cette expansion et des stratagèmes politiques et militaires mis en oeuvre pour juguler la résistance à cette expansion.
Aujourd’hui, moment où toutes les contradictions du système atteignent leurs seuils d’impossibilité — saturation totale de tous les marchés sans expansion possible, explosion de la virtualité monétaire au-delà des capacités de production future, remplacement unilatéral des travailleurs par des machines à un point où il devient pratiquement impossible de créer la moindre valeur, taux de profits globaux en chute libre, mise à sac des ressources naturelles, etc. — jamais l’effort de propagande et de répression n’aura été aussi démesuré, aussi grotesque. Car le système, par le truchement de ceux qui en bénificient, qui ne peut tout simplement pas accepter l’idée de sa propre mort, craint plus que toute autre chose le soulèvement populaire et mettra tout en oeuvre pour le juguler — c’est bien là toute l’ironie, typique de toute paranoïa, qui crée fatalement les conditions de ce qu’elle redoute : c’est précisément ce déni de la réalité qui induit l’escalade de violence insurrectionnelle que les puissants redoutent autant !
Donc, soyons clairs : il n’y aura pas de position confortable dans les années qui viennent. Tout sera fait pour que vous acceptiez servilement les mesures qui nous seront imposées, et pour cela tout sera mis en place pour que vous demeuriez inconscients des conséquences que ces mesures auront éventuellement sur des millions, voire des milliards de personnes (la conscience rendrait la soumission intolérable). Autrement dit, on tentera de vous épargner aussi longtemps que possible la responsabilité de votre propre passivité. C’est probablement, pour l’instant du moins, l’option la plus « confortable » qui vous soit offerte. Mais elle implique que vous soyiez déjà, ou le deveniez rapidement, et demeuriez bien cons.
On ne se contentera pas de vous demander de croire au bien-fondé des restrictions imposées à vos libertés individuelles jusqu’à réduire bientôt celles-ci à néant ; on exigera de vous que vous acceptiez qu’on les impose — de plus en plus violemment — à ceux qui s’entêteront à les refuser. La « bien-pensance » sera appelée à faire beaucoup de mal.
De l’autre côté, et précisément pour ces raisons, la résistance s’annonce extrêmement éprouvante. L’insoumission s’exposera à toutes les violences imaginables : répression sociale, censure automatisée, ban social, confinement forçé, géolocalisation, espionnage, judiciarisation et criminalisation, lourdes amendes, blocage bancaire, déni de services sociaux, d’aide financière ou d’emploi, blacklisting, prison, torture, menaces, persécutions, raids de milices militantes, enlèvements, exécutions, rééducation, psychiatrie, éliminations ciblées, contamination sélective, éliminations de masse, attentats terroristes, euthanasie, etc. Tout cela sous l’oeil bienvaillant et consentant du bon « public ». Bien sûr, une vaste majorité terrorisée désapprouvera en secret. Mais on lui surinera à longueur de journée que tout le monde approuve ces justes châtiments, de sorte à la maintenir dans la terreur des conséquences qui pourraient s’abattre sur la personne isolée qui oserait s’exprimer — même en privé.
D’où l’importance de s’exprimer dès maintenant, ouvertement, contre le régime de tyrannie qui est en train de se mettre insidieusement en place sous nos yeux. Nous risquons certes déjà d’être mis à l’écart, marginalisés, broyés, éliminés du circuit. Mais il est plus que jamais nécessaire de faire témoignage de résistance à la dictature démocratique impitoyable qui se profile à l’horizon. Nous n’arriverons peut-être pas à empêcher son avènement ; mais il est plus que jamais vital de transmettre la critique qui permettra de régler une fois pour toutes les comptes de l’humanité avec ce système pourri. Le plus tôt étant le mieux.
Dans le texte précédent («Faire témoignage de résistance»), j’essayais d’articuler les implications dialectiques de l’antagonisme soumission-résistance. C’est sûr qu’en partant du niveau de développement actuel (apparent) de la conscience au sein du public, ça n’annonce rien de réjouissant. Je ne suis pas certain que ce soit la manière la plus efficace de passer le message ! Je me suis moi-même senti passablement découragé après relecture.
Si on veut s’en sortir, faut faire vibrer la volonté passionnée d’un monde différent. Il faut ouvrir les imaginaires sur les possibilités infinies d’un monde sans argent. Faire comprendre que l’homme est assez grand et qu’il peut se faire confiance. Désigner l’imposture, certes, mais surtout pour aperçevoir le potentiel humain auquel elle barre la route.
Il faut parler d’émancipation. Aider l’émancipation à jaillir dans les esprits, les coeurs, les corps. Pour renverser toutes les aliénations, il faut déjà commencer à s’émanciper. Ce monde possible, nécessaire, il faut déjà le construire, le mettre en mouvement.
Quand on fait dans la com’, il y a, veut, veut pas, une posture à prendre. On peut rester honnête assis, couché ou debout. L’essentiel est d’être honnête. Mais c’est décisif de se tenir debout.
Voyons maintenant pourquoi nous changerons le monde.
WordPress:J’aime chargement…Partager :